Fernand Mourlot, lithographe

Le Rêve de Matisse


..."Pour l'exposition internationale l'Art Indépendant au Petit Palais, en 1937, une grande présentation de chefs-d'oeuvre de l'art moderne fut organisée par Raymond Escholier, conservateur de ce Musée. Il me chargea d'imprimer les deux affiches annonçant cette prestigieuse manifestation.

La première affiche choisie était une grande toile de Pierre Bonnard Le Petit Déjeuner. Je demandai au maître de bien vouloir me conseiller pour la reproduction de son oeuvre. J'ai eu la satisfaction d'apprendre qu'il avait été content de notre travail.

Une peinture de Henri Matisse, Le Rêve, avait été retenue pour la seconde affiche. C'est à cette époque que je fis sa connaissance.

Désirant réaliser une bonne reproduction - le sujet choisi était délicat à imprimer -, je priai Henri Matisse de me recevoir. Matisse était un personnage ! rien à voir avec Picasso ou Derain... Devant eux, l'on pouvait toujours plaisanter. Matisse, lui, conservait une certaine distance vis-à-vis de ses interlocuteurs. Je l'ai ainsi appelé, dès le début et tout au long de nos relations, "monsieur Matisse" et lui m'appelait "monsieur Mourlot".

Il me reçût très cordialement.
- Vous allez faire une belle affiche. vous avez vu le tableau ? Je crois qu'il sera assez difficile à reproduire parce qu'il y a des nuances qu'il faut respecter...

Je lui apportais une maquette de l'affiche avec les textes. Bien entendu, il a commencé par discuter de la lettre, puis il m'a dit :
- Il ne faut pas mettre de couleurs dans les titres, toute la lettre en noir. Voyez-vous, cette lettre est un peu grande. Je voudrais bien voir les épreuves parce que je suis assez méticuleux, et je tiens à avoir une belle affiche.

Presque tous les jours j'allais le voir avec une épreuve différente; Nous en discutions ensemble. Il habitait à l'époque boulevard du Montparnasse, près de l'observatoire.

Arrivé à un certain stade, il me dit :
- Rapportez-moi la toile, nous allons maintenant travailler sur votre litho et faire autre chose. Éloignons-nous de la peinture et faisons une bonne image.

Le chromiste se remit au travail; il faut dire qu'à cette époque la photo en couleurs n'avait pas atteint ses perfectionnements actuels. Exécuté par de très habiles spécialistes, le travail à la main était supérieur aux procédés photo-mécaniques. Le résultat fut excellent et quand l'affiche fut terminée, Henri Matisse me dit :
- Je suis satisfait et je suis sûr que nous nous reverrons..."

Fernand Mourlot, Souvenirs et portraits d'artistes, A-C Mazo éditeur, 1973 et A Même la Pierre, Pierre Bordas & Fils, 1982